Hollande contre Hollande // Politique friction

Nous sommes le 16 mai 2013. Il pleut.

C’est sa marque de fabrique la pluie. Il s’apprête à donner sa deuxième conférence de presse. Mais il a déjà tout dit hier, devant la Commission Européenne. Il ne la lâchera pas de sitôt sa compétitivité. La politique libérale d’ajustement structurel, il y croit. Lui, c’est Hollande Président.

Au fond de la salle, alors que le Président s’apprête à prendre la parole, il y en a un qui fulmine. Il a connu son jour de gloire le 22 janvier 2012 au Bourget. « Mon ennemi, c’est la finance », c’est lui. Cela lui paraît bien loin. Il est évanescent. Le souvenir qu’il avait laissé dans les mémoires s’estompe. Lui, c’est Hollande Candidat.

Le Président commence son speech, le Candidat en donne les nostalgiques sous-titres. Lire la suite

Le piège de la déflation salariale, c’est maintenant ?

Elle monte la petite rengaine.

Lentement, mais sûrement, elle monte.

Le problème de la France : le SMIC et les salaires. Ils seraient trop hauts. Si, si, je vous assure.

Les médias se sont rhétoriquement posés la question ces derniers jours (ici, ici ou ), à la faveur d’un rapport du Conseil d’analyse économique. Rattaché à Matignon, il « a pour mission d’éclairer, par la confrontation des points de vue et des analyses de ses membres, les choix du Gouvernement en matière économique ». Beau programme.

Il nous pond donc un rapport qui s’interroge sur la « dynamique des salaires en temps de crise ». Il délivre 10 constats principaux. Et je ne peux me réprimer de vous livrer le plus croustillant  :

Constat 8  : En l’absence d’une amélioration des conditions de travail, le niveau d’insatisfaction déjà élevé en France est probablement un obstacle à la mise en œuvre d’une politique de modération salariale.

Traduction : Si on baisse leurs salaires, les salariés français risquent de faire grève. Les cons. Lire la suite

Compétitivité, avec leur sang j’écris ton nom

Cela fait bien longtemps que le néolibéralisme impose ses mots. C’est par eux qu’il colonise sournoisement les esprits, les contaminent de l’antienne de feu la dame de fer, coupant les pieds non seulement aux politiques alternatives mais bien plus encore à la capacité à les exprimer dans l’espace public et surtout à les penser.

Parmi les mots dont il fait son miel, trône en maître la « compétitivité ». Concept flou et protéiforme, s’adaptant à des individus autant qu’à des entreprises ou à des territoires, il est le nouveau pied de biche du libéralisme. Et le gouvernement l’a épousé tout entier. Pourtant, il hésite encore à nommer ses saloperies avec le lexique du néolibéralisme: privatisation, déréglementation, déflation salariale, ajustements structurels… Il leur préfère des mots creux comme « redressement ». Il résiste encore un peu, non pas dans les faits, mais dans le langage. Au prix d’une novlangue qui suce le sens des discours. Il semble encore se refuser encore à parler complètement la langue du Medef et de la droite. Mais ce mot là, la compétitivité, il le chérit entre tous. Jusqu’à l’overdose. La révolution copernicienne n’est pas dans les mesures prises par le gouvernement, qui sont dans la ligne social-libérale du PS connue depuis des lustres, mais dans l’invasion de la « compétitivité » dans le langage du PS. Depuis quand avez-vous entendu un discours ou une interview sur des questions économiques d’un membre du gouvernement dont ce mot soit absent ?

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L’électeur (d’après à peu près Boris Vian) #5mai

Monsieur le Président
Je vous fais une lettre
Que vous lirez peut-être
Si vous avez le temps

Je viens de compulser
Le texte de l’ANI
C’est un recul inouï
Je suis bien courroucé

Monsieur le Président
Le Bourget j’y ai cru
Je sais, j’aurais pas dû
Je voulais le changement

C’est pas pour vous fâcher
Il faut que je vous dise
Ma décision est prise
Je vais manifester

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Au journalisme assis (qui remue encore diablement ses gambettes)

Ah, qu’elle fut belle la victoire du journalisme sur le commentaire ! Du journalisme qui enquête, qui préfère aller chatouiller les puissants qu’asséner sa doctrine. Et votre défaite à vous, commentateurs de dépêches et analystes de bistrots, assis sur votre fauteuil, de plateau en plateau, qu’elle fut jouissive aussi !

Mais il fallait la voir passer. Fallait être drôlement rapide pour saisir cet instant .Pendant quelques heures, vous avez abandonné la position assise que vous affectionnez tant et posé un genou à terre. Les certitudes ont vacillé dans la sauce blanche de Jean-Michel Aphatie dont les postillons sur Mediapart étaient encore chauds. A la rédaction du JDD, les visages devaient être blancs, comme un Cahuzac de février.

Ah, ça non,  vous ne nous l’aurez pas laissé longtemps ce moment suspendu, ce flingage en règle du commentateur omniscient. Dans un réflexe de survie, vous avez ressorti vos griffes. Les journalistes de Médiapart avaient raison et vous les avez moqués. Et alors, on va pas en faire une affaire. Sujet suivant.

Votre capacité d’autocritique, ça fait bien longtemps qu’on la connait, aussi inexistante que la pluralité sur un plateau d’Yves Calvi. On n’attendait pas grand chose vous. Fermer votre gueule eut tout de même été la moindre des courtoisies.

Et bien non, vous y allez gaiement, Jean-Michel en tête, Bruno dans sa roue, et les autres qui suivent. Parce que vous voyez bien ce que l’obstination et le travail de Mediapart disent sur vous, sur vos pratiques. Leur audacieuse indépendance vous renvoie à vos accointances. Leurs enquêtes à votre fainéantise. Vous vouliez des preuves ? Et bien levez-vous de votre fauteuil et allez enquêter.

Et puis, ce matin, sur France Inter, le mordant Patrick Cohen, vous a fait un petit cadeau plein de corporatisme. Une émission face à Fabrice Arfi, pour que deux d’entre-vous puissent se justifier. Mais tu comprends, cher auditeur, il était convaincant Cahuzac. Vachement ferme et tout. Alors pourquoi ne pas le croire ? Hein ? Est-ce qu’il avait une tête de menteur, hein ?

Parce que oui, le journaliste assis ne recule devant rien. Il peut même te ressortir avec fierté comment au lieu d’enquêter sur Clearstream, il avait enquêté sur l’enquête de Denis Robert, trouvé 3 failles et jugé que l’enquête était bidon.

Il peut balancer à Fabrice Arfi qu’il y a « un problème de morale » à publier un enregistrement et trouver ça tout à fait normal de se faire confirmer en décembre par Alain Bauer, grand ami du petit roquet de l’Intérieur, que Cahuzac a eu un compte en Suisse et de n’en rien faire.

Il peut faire comme si la véracité avérée des informations de Mediapart était en fait en sacré coup de bol. Et ouais, il ose tout, c’est même à ça qu’on le reconnait.

Journalistes assis, commentateurs de tout, ayez un peu de dignité, fermez votre gueule, par pitié.

Des médias de plus en plus concentrés, des journalistes de plus en plus dociles, une information de plus en plus médiocre. Longtemps, le désir de transformation sociale continuera de buter sur cet obstacle.

Serge Halimi – Les nouveaux chiens de garde

La « guerre des gauches », l’arbre qui cache la forêt

Le revoilà donc, le bon vieil épouvantail de la « guerre des gauches ». Certains journalistes nous avaient déjà fait le coup dans la dernière ligne droite de la présidentielle. Il suffit que quelques voix se lèvent, un peu plus hautes que les autres, pour que resurgisse cet opportun repoussoir à idées, cette créature médiatique qui condamne le débat à l’avance. Mais de quoi parle t-on au juste ?

La « guerre des gauches » serait une lutte de pouvoir, entre des individus. Comme c’est intéressant. Et surtout bien  pratique. La dénonciation d’une opposition entre des personnes, des égos donc, permet opportunément de verrouiller le débat, de le limiter à des rivalités, des inimitiés. Et de laisser de côté le plus important : le débat sur le fond.

C’est pour cette raison que la figure de la « guerre des gauches »  est brandie par les médias, qui s’en repaissent abondamment. Elle présente pour eux deux avantages : elle est spectaculaire et elle permet surtout de mettre en scène la vie politique sans perdre de temps à analyser les positions et propositions de chacun (trop fatiguant sans doute).

Mais elle est surtout agitée, depuis quelques jours, par le gouvernement et ses alliés. Le fait que Cécile Duflot ait été envoyée au charbon n’est pas anodin. Les ministres écologistes sont forcés de soutenir une politique bien éloignée de celle défendue par leur candidate aux présidentielles. Mal à l’aise sur le fond, ils ont tout intérêt à faire un pas de côté et à attaquer la forme et les personnes, et à agiter le risque d’explosion de la gauche.

François Hollande lui-même, la semaine dernière sur France 2, a rappelé la consigne :

Je trouve que, en ce moment, il y a une radicalité ; il y a une montée des excès ; il y a une violence, qu’on constate dans la rue, mais qu’on constate aussi dans l’expression. Je ne veux pas de cette République. Ma République doit être exemplaire et apaisée. Si je veux réussir à aller le plus loin possible, le plus haut possible avec la France, il faut aussi permettre ce rassemblement, cet apaisement, cette réconciliation.

Traduction : « Vous êtes priés de fermer votre gueule. » Compris ? Car qui peut être contre l’apaisement et la réconciliation ? Contre l’exemplarité ? Qui veut l’échec ? Hein, qui ?

Il y a bien sûr, dans cette réponse à Pujadas, une adresse au Parti de Gauche et aux quelques voix qui s’élèvent à la gauche du PS.
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Mélenchon, le PS et le cercle de la raison

Il souffle sur la vie politique française un vent  d’hystérie. De ceux qui, habituellement, balaient les cieux pré-électoraux de surenchères, fausses promesses et noms d’oiseaux.  Cette tension fait apparaître avec une acuité toute particulière les limites de la pensée autorisée.  Dans une année électoralement blanche, 9 mois à peine après l’élection d’un  nouveau président, elle est le signe d’une crise profonde, une crise économique, sociale et, plus que tout, idéologique.

Le parti solférinien (puisqu’il faut désormais l’appeler ainsi tant il n’a de socialiste que le nom) applique les politiques qu’il combattait (ou faisaient mine de combattre) il y a un an à peine. L’ANI, en débat à l’assemblée cette semaine, en est une parfaite illustration. D’inspiration libérale (plus de fexibilité = moins de chômage), il reprend notamment les accords compétitivité-emploi prônés par Sarkozy en son temps et dont le PS disait alors :

Son projet de contrat « compétitivité-emploi’, c’est la diminution orchestrée des salaires ! Voilà qui est de nature à éclairer les partenaires sociaux sur le véritable agenda du sommet social annoncé par Nicolas Sarkozy dans la précipitation. Or, la diminution des salaires des ouvriers, c’est chacun l’aura compris, moins de pouvoir d’achat, donc plus d’austérité, moins de croissance donc plus de chômage et plus de souffrances sociales pour ceux qui n’en finissent pas de payer les conséquences d’une crise dont ils sont les victimes !

Si la majorité précédente avait proposé le même texte, à la virgule près, le PS serait, sans aucun doute, dans la rue pour s’opposer à ce recul sans précédent du droit du travail. Il en va de même dans tous les domaines : expulsions de Roms, politique européenne, pacte de compétitivité, obsession du déficit, etc. Tout ou presque trace une ligne continue entre les politiques menées par le PS et l’UMP. Lire la suite

Wall Street peut dormir tranquille

Qui est Jack Lew ?

En voilà une bonne question. En lisant un article de la Tribune.fr, on apprend que le futur secrétaire d’Etat au Trésor américain, Jacob « Jack » Lew, « est l’un des premiers secrétaires du Trésor à ne pas venir du monde de la finance ». Alléluia !

whitehouse.gov

Jack Lew – whitehouse.gov

Mais voyons cela de plus près.

Jacob Lew est aujourd’hui chef de Cabinet de la Maison Blanche. Il a travaillé pour l’administration Clinton en 1993 et 1994, puis a été nommé au Bureau de la gestion et du budget, un service du gouvernement américain qu’il a fini par diriger jusqu’à l’élection de Bush en 2001.

Mais où était donc passé celui qui, selon La Tribune, « devra gagner la confiance de Wall Street » ?

Il suffit de lire sa biographie sur le site de la Maison Blanche pour le savoir… De 2001 à 2006, il est resté dans la fonction publique. Mais entre 2006 et 2010, en pleine crise financière, il a dirigé successivement deux filiales de Citigroup, une des toutes premières banques mondiales. Après la chute de Lehman Brothers, en 2008, l’administration américaine est forcée de venir au secours de la banque, garantissant 306 milliards de dollars d’actifs. Excusez du peu !  Lire la suite

De l’absolu au relatif, le patron du CAC 40 gagne à tous les coups

Souvent, un graphique est plus parlant qu’un long discours…

Les patrons du CAC 40 gagnent non seulement plusieurs centaines de fois le SMIC, mais leurs revenus augmentent beaucoup plus vite que ceux du reste de la population :

Evolution des revenus 2004-2010

Quand, de 2004 à 2010, les salaires des patrons du CAC augmentent de 87%, le niveau de vie des 10% les plus riches en France grimpe de près de 15% et celui des 10% les moins riches se dégrade de 1,7%…

La crise ? Quelle crise ?

Source : Insee, Proxinvest

La mondialisation heureuse de Jean-Marc Ayrault

Pierre Chabaud/Matignon

Pierre Chabaud/Matignon

Jean-Marc Ayrault développe dans une longue tribune publiée dans Le Monde daté d’aujourd’hui sa « vision » du nouveau modèle français qu’il appelle de ses vœux. On a beau chercher parmi les phrases creuses et les généralités faiblardes, il est difficile de trouver un « modèle »,  un point d’horizon commun, un imaginaire. Ça enfonce de la porte ouverte à tout va. C’est poétique comme du Terra Nova. Plus proche de la novlangue d’éditocrate que des discours de Jaurès.

Sur le fond, c’est un hymne au social libéralisme, une déclaration d’amour à la mondialisation.

D’ailleurs, les conséquences du libre-échange et de mondialisation, chimères de gauchistes enragés, sont écartées dès le début du texte :

La crise que nous traversons est d’abord économique et sociale. La tentation est grande d’en reporter la responsabilité sur autrui, d’accuser la libéralisation des échanges commerciaux et financiers, la concurrence des pays à bas coûts et les politiques conduites en Europe. Il n’est pas question de nier les dangers du néolibéralisme et du capitalisme financier : oui, il faut renforcer la gouvernance internationale de l’économie, réguler la finance, promouvoir le juste échange. Oui, les Etats européens doivent s’entendre sur des règles sociales et fiscales communes, et mener une politique de croissance à l’échelle du continent : le président de la République et le gouvernement s’y emploient. Mais n’oublions pas que la mondialisation est aussi l’occasion d’élargir la diffusion de nos produits, d’attirer des entreprises et des emplois et de bénéficier d’innovations venues d’ailleurs. »

Pour un nouveau modèle français Jean-Marc Ayrault, premier ministre, Le Monde, 4 janvier 2013

Jean-Marc, faudrait que tu m’expliques comment tu promeus le « juste échange » (bon, faudrait le définir d’abord) sans remettre en cause la libéralisation des échanges commerciaux et financiers. Et puis, tant que tu y es, tu me diras comment tu veux harmoniser les règles fiscales et sociales européennes sans accuser la concurrence des pays à bas coût. Pas très clair tout ça Jean-Marc, éclaire-nous, je t’en prie… Lire la suite