Ah, qu’elle fut belle la victoire du journalisme sur le commentaire ! Du journalisme qui enquête, qui préfère aller chatouiller les puissants qu’asséner sa doctrine. Et votre défaite à vous, commentateurs de dépêches et analystes de bistrots, assis sur votre fauteuil, de plateau en plateau, qu’elle fut jouissive aussi !
Mais il fallait la voir passer. Fallait être drôlement rapide pour saisir cet instant .Pendant quelques heures, vous avez abandonné la position assise que vous affectionnez tant et posé un genou à terre. Les certitudes ont vacillé dans la sauce blanche de Jean-Michel Aphatie dont les postillons sur Mediapart étaient encore chauds. A la rédaction du JDD, les visages devaient être blancs, comme un Cahuzac de février.
Ah, ça non, vous ne nous l’aurez pas laissé longtemps ce moment suspendu, ce flingage en règle du commentateur omniscient. Dans un réflexe de survie, vous avez ressorti vos griffes. Les journalistes de Médiapart avaient raison et vous les avez moqués. Et alors, on va pas en faire une affaire. Sujet suivant.
Votre capacité d’autocritique, ça fait bien longtemps qu’on la connait, aussi inexistante que la pluralité sur un plateau d’Yves Calvi. On n’attendait pas grand chose vous. Fermer votre gueule eut tout de même été la moindre des courtoisies.
Et bien non, vous y allez gaiement, Jean-Michel en tête, Bruno dans sa roue, et les autres qui suivent. Parce que vous voyez bien ce que l’obstination et le travail de Mediapart disent sur vous, sur vos pratiques. Leur audacieuse indépendance vous renvoie à vos accointances. Leurs enquêtes à votre fainéantise. Vous vouliez des preuves ? Et bien levez-vous de votre fauteuil et allez enquêter.
Et puis, ce matin, sur France Inter, le mordant Patrick Cohen, vous a fait un petit cadeau plein de corporatisme. Une émission face à Fabrice Arfi, pour que deux d’entre-vous puissent se justifier. Mais tu comprends, cher auditeur, il était convaincant Cahuzac. Vachement ferme et tout. Alors pourquoi ne pas le croire ? Hein ? Est-ce qu’il avait une tête de menteur, hein ?
Parce que oui, le journaliste assis ne recule devant rien. Il peut même te ressortir avec fierté comment au lieu d’enquêter sur Clearstream, il avait enquêté sur l’enquête de Denis Robert, trouvé 3 failles et jugé que l’enquête était bidon.
Il peut balancer à Fabrice Arfi qu’il y a « un problème de morale » à publier un enregistrement et trouver ça tout à fait normal de se faire confirmer en décembre par Alain Bauer, grand ami du petit roquet de l’Intérieur, que Cahuzac a eu un compte en Suisse et de n’en rien faire.
Il peut faire comme si la véracité avérée des informations de Mediapart était en fait en sacré coup de bol. Et ouais, il ose tout, c’est même à ça qu’on le reconnait.
Journalistes assis, commentateurs de tout, ayez un peu de dignité, fermez votre gueule, par pitié.
Des médias de plus en plus concentrés, des journalistes de plus en plus dociles, une information de plus en plus médiocre. Longtemps, le désir de transformation sociale continuera de buter sur cet obstacle.
Serge Halimi – Les nouveaux chiens de garde